Intervention relative au RSA lors de la séance plénière du Conseil départemental du Finistère du 9 janvier 2025
- Tristan Foveau
- 10 janv.
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Monsieur le Président,
Chers collègues,
Vous le savez, depuis le 1er janvier, une réforme majeure a été généralisée et va redéfinir le quotidien des allocataires du RSA dans notre pays et dans le département, je veux parler bien sûr de l’obligation désormais faite aux demandeurs de réaliser 15 heures d’activité par semaine.
C’est une réforme qui s’inscrit dans la même philosophie que le plan d’action RSA que vous avez lancé en 2022 en vérité et qui est présentée comme un levier de remobilisation et d’insertion professionnelle. Permettez-moi de douter de cette intention au regard des conséquences concrètes pour les publics, notamment les plus vulnérables.
Vous avez évoqué la diminution significative du nombre de demandeurs du RSA dont vous vous félicitez.
Cette diminution significative elle est à mettre en regard avec les chiffres à l’échelle de la Bretagne : en Ille-et-Vilaine, c’est une augmentation de 4% du nombre de bénéficiaires entre juin 2023 et juin 2024. Le Morbihan c’est une légère diminution de 2%. Et à l’échelle de la région Bretagne, c’est une très légère baisse de 1%.
Et diminution significative qui par ailleurs n’est corrélée ni à une diminution du taux de pauvreté dans le département, ni à une variation comparable du taux d’emploi ou du taux de chômage.
Cette trajectoire finistérienne, elle s’accompagne logiquement d’un impact financier positif pour le Département, que vous attribuez en grande partie aux nouvelles modalités d’accompagnement renforcé mises en œuvre dans le cadre du plan RSA. Mais je crois qu’il est utile de s’interroger sur ce que ces chiffres traduisent réellement.
Vous soulignez, dans le rapport d’Orientation Budgétaire, l’importance des nouvelles formes d’accompagnement : coaching plus dynamique, incitations financières comme la prime de 250 euros pour les chantiers d’insertion, ou encore augmentation des places en structures d’insertion par l’activité économique. Ces dispositifs peuvent être indéniablement des opportunités pour certains. Mais qu’en est-il de celles et ceux qui peinent à répondre aux exigences accrues de la réforme ?
Depuis le 1er janvier, chaque allocataire est tenu de contractualiser avec le Département et de débuter un parcours d’accompagnement au plus tard six semaines après son inscription. Cette contractualisation est désormais couplée à des sanctions renforcées, issues de la loi pour le plein emploi. Ce nouveau cadre impose une obligation de 15 heures d’activité hebdomadaire qui devraient pouvoir être modulées en fonction des situations des bénéficiaires : absence de moyens de transport, problèmes de santé, charge familiale écrasante, ou encore éloignement géographique des structures d’insertion.
Mais ces nouvelles obligations, même encadrées par des dispositifs de soutien, engendrent de fait une aggravation de la stigmatisation des bénéficiaires. Le flou qui persiste autour de ces mesures, notamment le contenu des 15 heures d’activité et les sanctions associées, instaure un climat de peur parmi une population déjà fragile.
Et d’ailleurs je crois que la récente dégradation de l’agence France Travail de Carhaix illustre cette tension. Et j’en profite pour témoigner évidemment tout mon soutien à cette agence et aux personnels, pris à partie dans un contexte où de nombreux bénéficiaires se sentent acculés par la réforme.
Derrière les annonces sur la baisse du nombre d’allocataires, combien ont déjà renoncé à leurs droits sous l’effet de la pression et de la stigmatisation ? Combien ont d’ores et déjà renoncé pour échapper à ce climat anxiogène ?
Un mot également sur la mission de contrôle intensifiée mentionnée dans le rapport d’orientation budgétaire. Le Département a choisi d’intensifier les contrôles administratifs, ce qui aurait permis, je cite, de « lutter contre la fraude ». Mais à quel prix Monsieur le Président ?
Ces contrôles, qui peuvent être utiles pour préserver l’équité du système, sont souvent vécus comme intrusifs et anxiogènes par les allocataires. Parmi les milliers de contrôles réalisés chaque année, quelle part des dossiers pose problème ? Et parmi ces « problèmes », combien sont en réalité des retards ou des absences de réponse liées à des situations de précarité ou à des difficultés d’accès à l’information ?
Le rapport met également en lumière une trajectoire budgétaire explicite : une réduction de l’enveloppe RSA, de 110 millions d’euros en 2024 à 104 millions d’euros prévus en 2025. Une diminution qui s’appuie sur une anticipation d’une baisse continue des allocataires, avec un objectif de 14 000 bénéficiaires fin 2025. Là encore, il est légitime de se demander si cette projection repose sur un véritable retour à l’emploi durable ou sur une réduction administrative des effectifs.
Vous me permettrez monsieur le Président d’évoquer un cas concret, qui est je crois parlant. Celui d’un administré de mon quartier, que j’ai reçu récemment, ancien enseignant en reconversion, qui a vu son RSA suspendu pour ne pas avoir fourni des documents dans les délais impartis. Il a essayé de justifier sa situation, il s’est retrouvé sans ressource, à un moment où il entamait une formation professionnelle financée par la région. Et d’ailleurs j’avais saisi votre 1ere vice-présidente à son sujet mais je suis encore à ce jour sans réponse. Combien d’autres histoires similaires se cachent derrière les chiffres du rapport d’orientation budgétaire ? Combien de drames ?
L’année 2025 s’annonce marquée aussi par la mise en œuvre de la « solidarité à la source », avec le pré-remplissage des déclarations trimestrielles par croisement de données entre les services de la CAF et du Département. Si cette réforme promet de simplifier les démarches administratives, elle pose également des questions sur la fiabilité des données et sur la capacité des allocataires à rectifier des erreurs éventuelles avant que des sanctions ne s’appliquent.
Au-delà des chiffres, il faut rappeler que derrière chaque donnée se trouvent des parcours de vie souvent chaotiques. Les bénéficiaires du RSA ne sont pas uniquement des « chiffres » ou des « dossiers », mais des hommes et des femmes confrontés à des obstacles de vie majeurs. L’obligation des 15 heures peut devenir une charge supplémentaire pour celles et ceux qui ne disposent pas des outils ou de l’accompagnement adaptés. Cette réforme, en l’état, comme votre plan RAS, risquent en vérité de manquer leur cible en échouant à reconnaître la diversité des situations personnelles.
Les associations de mon quartier, mais ça vaut ailleurs, me rapportent une détresse croissante, notamment parmi les familles monoparentales et les jeunes en grande précarité. Si les mesures d’insertion ne sont pas accompagnées de ressources humaines et financières suffisantes, elles ne feront qu’amplifier ces difficultés sociales qui ne seront peut-être pas visibles dans vos chiffres mais qui seront très visibles dans la vie réelle, dans nos villes et dans nos quartiers. Et d’ailleurs de nombreux travailleurs sociaux alertent déjà sur une surcharge de travail et un manque de moyens pour répondre aux nouvelles contraintes de cette réforme.
Donc nous le disons clairement : oui, les fraudeurs doivent être sanctionnés, mais les allocataires de bonne foi ne doivent pas être victimes d’un système inique. Cette réforme ne fonctionnera pas sans un investissement massif dans l’accompagnement humain, la formation des conseillers, une meilleure prise en compte des réalités de terrain.
Monsieur le Président, en conclusion, mais vous l’aurez compris, nous refusons que cette réforme devienne un outil de stigmatisation et d’exclusion. Agissons au contraire dans le département pour que notre politique d’insertion soit un levier réel de solidarité et d’inclusion. Parce que derrière chaque chiffre du rapport d’orientation budgétaire, il y a des vies humaines, des parcours de vie, que nous avons le devoir de respecter, de soutenir, d’accompagner.
Nous avons le devoir de construire un modèle social qui valorise l’humain, ses efforts, ses besoins et son avenir, loin des logiques purement comptables.
Je vous remercie.
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